El dorado : le piment des Incas et le Pisco métisse
Par Samia Iommi-Amuntagui et Sonia Lopez Calleja
« Pour bien aimer un pays, il faut le manger, le boire et l’entendre chanter ». Cette phrase de Michel Déon, résume très bien le projet en duo que nous avons souhaité mettre en place Samia Iommi-Amuntagui, blogueuse culinaire de Cuisine et Sentiments et moi, sur ce blog. Dans une série d’articles croisés, nous allons vous faire manger et boire le monde pour mieux le découvrir. Nous n’avons cependant pas déterminé qui de nous deux chantera…
Pour
ce deuxième opus, nous vous amenons dans un pays aux nombreuses richesses
réelles ou fantasmées, celui que les conquistadors espagnols appelaient El
Dorado. Le pays des Incas. Le Pérou est une société profondément métissée,
marquée par l’histoire des migrations qui se sont succédées sur son territoire.
Populations amérindiennes, Espagnols, esclaves africains, asiatiques – Chinois
venus construire les voies ferrées ou diaspora japonaise[1] des
années 1930 – et des européens. On retrouve ce métissage dans la musique criolla
et afro-péruvienne[2]
mais aussi dans sa gastronomie.
Partons
donc à la découverte de la gastronomie et des boissons de ce pays. Samia vous a
préparé quelques plats caliente, muy caliente qui vous réchaufferont en ces
jours glacés d’hiver. Quant à moi, je vais vous faire découvrir le vignoble
péruvien – hé oui, il y a des vignes au Pérou – le Pisco et le Pisco Sour, les
boissons traditionnelles et l’Inca Kola contre lequel Coca Cola ne parvient pas
à s’imposer !
La vigne, une importation espagnole
La
présence de la vigne au Pérou est aussi ancienne que la colonisation espagnole.
Ce sont les Espagnols qui l’introduisent au 16ème siècle pour
répondre aux nécessités du culte chrétien, puis sa consommation s’étendra en
dehors des églises. Le vignoble se développe au sud de Lima, les conditions
naturelles sont plus favorables à la vigne et les débouchés sont proches.
Aujourd’hui, la vigne est implantée dans les régions côtières chaudes et
arides, un peu en retrait du littoral. Les précipitations annuelles étant dans
certaines zones inférieures à 100mm, la vigne est irriguée afin de favoriser
son développement.
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Depuis
le 19ème siècle, les superficies viticoles ont beaucoup diminuées.
Il y a 10 fois moins de vignes. On cultive environ 15 000 hectares. La
réforme agraire qui a éliminé les grandes haciendas productrices et le
remplacement par des cultures plus rentables expliquent en partie cette
diminution. L’autre raison est la concurrence avec les vins des pays voisins
que sont l’Argentine et le Chili. Ce
sont aujourd’hui une majorité de petits producteurs – moins d’un hectare pour
75% d’entre eux – qui cultive la vigne. La région d’Ica représente le plus
grand vignoble, elle est la principale zone productrice de vin et de Pisco, les
plus connus du Pérou sont Tacama, Ocucaje et Tabernero. Je ne vous parlerai pas
du goût des vins péruviens car je n’ai pas (encore) eu l’occasion de pouvoir en
goûter.
Le Pisco, symbole national
Malgré
la présence des vignes, ce n’est pas le vin la boisson alcoolisée la plus
prisée, c’est un alcool distillé : le Pisco. Ce dernier est non seulement
une boisson populaire mais aussi une revendication identitaire notamment face
au Chili, lui aussi producteur de Pisco[3]. A tel
point qu’il est interdit de rentrer au Pérou avec du Pisco chilien[4]. Le
Pisco est une eau-de-vie de vin, élaborée dans la région de Pisco. Il se fait à
partir de la distillation de pur jus de raisin sans autre ajout et sans
élaboration très longue. Il se différencie, par exemple, de la Grappa ou du
marc car il se fait à partir exclusivement du moût du vin, alors que les
autres alcools sont faits à partir des résidus du pressage du vin qui incluent
pépins, peau, …
La
production est très réglementée. Il existe 4 catégories de Pisco en fonction
des cépages utilisés, s’il s’agit d’un assemblage ou non et de la méthode de
fabrication.
·
Le Pisco pur non aromatique : Pisco peu aromatique
qui se révèle en bouche, fait à partir de cépages moins aromatiques comme le
Quebranta, le Mollar, le Criolla negra principalement.
·
Le Pisco pur aromatique : fait à partir de cépages
comme Albilla, Italia, Moscatel, Torontel[5], qui se
révèlent plus ou moins aromatiques.
·
Le Mosto Verde se distingue par
les cépages mais aussi par le processus d’élaboration. Les autres Pisco sont élaborés
à partir d’un moût dont le sucre est totalement converti en alcool. Dans le cas
du Mosto Verde, il est distillé avant la fin de la fermentation
alcoolique, ce qui donne un goût en général plus sucré à ce Pisco.
·
Acholado qui comprend plusieurs
cépages, c’est un Pisco d’assemblage.
Du Pisco au Pisco Sour
Le
Pisco Sour est un cocktail à base de Pisco, ses origines et sa diffusion
viennent des classes aisées péruviennes. Il est né dans les années 1930 dans le
centre de Lima, à l’époque où celui-ci était le lieu de rendez-vous de la bonne
société. Il existe différentes versions sur l’identité du créateur de cette
boisson. Selon certains, il serait né des mains du propriétaire du Morris Bar,
surnommé ‘el Gringo’, qui s’inspira d’un autre cocktail le whisky sour :
pisco, jus de citron et écorce amère. Selon d’autres sources, il serait né dans
un autre bar de Lima : le bar de l’hôtel Maury. Ceux qui défendent cette
origine s’appuient sur le fait que c’est dans ce lieu que s’élabora la recette finale,
avec addition de blanc d’œuf et certains ingrédients plus ou moins secrets qui
font la spécificité de chaque Pisco Sour. Enfin, certains lui attribuent une
origine totalement péruvienne, ce cocktail serait né de traditions dues à des
barmen péruviens.
Il
se répand très rapidement dans les bars élégants de Lima, fréquentés par
des riches étrangers et les classes aisées de Lima. On se trouve aussi avec une
société très tournée vers l’étranger, qui a l’habitude de voyager en Europe. Il
y a d’ailleurs une nette influence anglo-saxone dans le nom de ce cocktail. Le
Pisco Sour s’est répandu progressivement dans les classes moyennes, moins dans
les classes populaires, car il est assez cher. On ne consomme pas du Pisco Sour
partout. Cela suppose non seulement d’avoir accès à tous les ingrédients mais
aussi d’avoir l’électricité chez soi. Il vous sera donc difficile de boire ce
cocktail dans un village de montagne à l’écart des infrastructures routières et
de services. En revanche, vous pourrez le trouver dans les petits restaurants
de Lima fréquentés par des classes moyennes et populaires.
La recette
La
qualité du Pisco va dépendre essentiellement de deux éléments : le Pisco
utilisé et les citrons péruviens. Ce sont de petits citrons très savoureux qui
malheureusement ne s’exportent pas car ils ont de nombreux pépins et cela
déplait aux consommateurs du nord. Il est donc très difficile d’avoir un bon
Pisco Sour à l’étranger.
·
3 onces de Pisco,
·
1 once de jus de citron
·
1 once de jarabe de goma (un sirop
sucré)
·
1 blanc d’œuf
·
2 gouttes d’amargo de angostora (une
décoction de plantes amères).
Le
mélange se fait au robot. Le blanc d’œuf est ajouté à la fin de la préparation
pour obtenir une mousse qui fait partie de l’esthétique propre à cette boisson.
Il existe évidement autant de variantes que de consommateurs, chacun adaptant
les proportions et les ingrédients selon ses goûts personnels. Certains
ajoutent des cubes de glace, d’autres remplacent le jarabe de goma par du sucre,
d’autres encore ne mettent pas d’amargo de angostura, …
Alcool de canne, alcool de maïs, bières, ...
D’autres
alcools existent au Pérou comme l’alcool de canne ou la Chicha, alcool produit
à partir de maïs. Cette dernière est surtout consommée, en dehors de la
capitale, par la population amérindienne ou métissée mais pas dans les classes
sociales supérieures aux ascendants européens. De manière générale, le type
d’alcool consommé dépendra du lieu géographique de sa production et du statut
social. La bière est également très consommée. Il existe une dizaine de bières
locales[6] qui
côtoient des marques étrangères notamment brésiliennes[7].
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Il existe plusieurs sortes de chicha en fonction du type de maïs |
On
retrouve aussi plusieurs boissons alcoolisées ou non fabriquées à partir de
plantes d’origine préhispanique provenant de la forêt amazonienne. Les Indiens
Masato élaborent une boisson à base de manioc mâché auquel on ajoute un peu
d'eau et de sucre puis qu'on laisse fermenter pendant 2 jours avant de le
servir très frais. On peut aussi boire plusieurs boissons revigorantes
préparées à base de Maca, un tubercule légèrement sucré. Sans oublier le Mate
de coca, quelques feuilles de coca dans une tasse d’eau chaude pour lutter
contre le ‘soroche’, le mal d’altitude.
Inca Kola s’impose devant Coca Cola
Vous
pensiez que Coca Cola était parvenu à s’imposer partout dans le monde comme LE
soda. Et bien détrompez-vous, au Pérou, il n’a jamais réussi à détrôner l’Inca
Kola, le soda 100% péruvien. Les Péruviens sont d’ailleurs très fiers de dire
que leur pays n’a pas cédé au géant américain. C’est en partie vrai, en partie
seulement. Ce soda jaune fluo au goût de bubble gum est certes le plus consommé
en terre péruvienne mais Coca Cola a fini par racheter 50% de la société Inca
Kola, qui lui ravissait les plus importantes parts de marché. L’ingrédient
principal de ce soda est une plante consommée habituellement en infusion :
l’hierba Luisa. Il s’agit d’une sorte de verveine que l’on retrouve aussi en
Espagne. La composition exacte de la formule de l’Inca Kola est aussi secrète
que celle du 7X de Coca Cola.
Comment
une boisson locale a-t-elle pu s’imposer face au géant américain qui a
phagocyté tous ses concurrents ? Elle a su exploiter une saveur plus
locale et identitaire en utilisant des médias comme la télévision. Pendant que
Coca Cola diffuse ses publicités en utilisant des éléments de la way of life
des Etats-Unis, Inca Kola parle de Lomo Saltado[8] sur fond
de musique afro-péruvienne. D’après les dirigeants d’Inca Kola :
« Coca parlait du monde. Inca Kola de fierté nationale ». En outre,
cette boisson accompagne régulièrement la cuisine métissée péruvienne et sa
consommation gagne toutes les couches de la société. Pour finir une phrase qui
résume bien l’importance que lui donne les Péruviens : « Au Pérou,
l’Inca Kola nous réunit ; à
l’étranger, il nous fait revenir »[9].
Sources pour
l’écriture de cet article
Café
géographique
Jean-Louis
Chaléard, Professeur de géographie tropicale à l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne.
Evelyne Mesclier, Chargée de recherche, IRD (Pérou)
Evelyne Mesclier, Chargée de recherche, IRD (Pérou)
Terra Andina, spécialiste du voyage sur mesure au Pérou
Guide
du Routard Pérou
Berceuse
Electrique
La musique péruvienne - Musique criolla et afro-péruvienne
[1] L'ancien
président du Pérou, Alberto Fujimori, est un descendant de
l'immigration japonaise en Amérique
latine des années 1930
[2] Pour
schématiser la musique criolla (créole) est la musique des descendants
d’émigrés européens et la musique afro-péruvienne est celle des descendants
d’esclaves noirs africains. La musique afro-péruvienne plonge ses racines dans
les communautés noires d’esclaves travaillant dans les mines de la côte
péruvienne mais elle a par la suite intégré les traditions andine, espagnole et
africaine. Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez écoutez quelques
morceaux de ces musiques péruviennes, je vous conseille de lire cet article
très didactique :
[3] Les deux
pays se battent pour la paternité de cette boisson et ont chacun créé un cocktail
à base de Pisco : le Pisco Sour au Pérou et la Piscola (Pisco et Coca
Cola). A ce sujet lire l’article sur la guerre du Pisco : Le Pisco de la discorde
[4] On vous
demande sur la fiche des renseignements si vous en avez dans vos bagages. Si la
réponse est positive, il sera confisqué.
[5] C’est le
Muscat de Frontignan
[6] La Cusqueña,
la Cristal, la Pilsen et l'Arequipeña, fabriquées
par Backus, sont les plus connues.
[7] La
politique publicitaire et commerciale de ces grands groupes a sans doute joué
un rôle dans la consommation massive de bière, qui remplace en partie les
autres alcools (et qu’on consomme parfois mélangée à du coca-cola, pour dit-on
atténuer les effets de l’alcool) et viennent sérieusement concurrencer les
bières locales.
[8]
Plat péruvien à base de viande grillé.
[9]
Phrase tirée de : Letras libres, mars 2006, Marcos Aviles et Daniel
Titinger
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