En
Espagne, nous fêtons Noël[1] et le
jour de l’an[2]
mais aussi l’Epiphanie[3]. La nuit
du 5 au 6 janvier est l’occasion d’un grand défilé dans les rues avec les chars
représentants les 3 rois mages et leurs serviteurs qui lancent des bonbons à la
foule. C’est souvent à ce moment de l’année pourvoyeur de nombreux jours
fériés, que je me rends en Espagne voir ma famille, mes amis et que je visite
quelques bodegas. Mes amis sachant que je travaille dans le vin en France, me
préparent toujours une sélection de bonnes bouteilles, non sans une certaine
arrière-pensée chauvine. Paco, mon plus grand sélectionneur de flacons, m’avait
fait goûter plusieurs cuvées de la bodega Los Frailes et je décidais cette
année de leur rendre une petite visite.
![]() |
Cabalgata des Rois Mages à Madrid en 2009 |
Los Frailes[4] appartient à la DO Valencia. Le caveau ainsi que les vignes se situent dans la commune de Fontanars dels Alforins, à 650m d’altitude. Nous sommes dans les terres à 80km de la Méditerranée. Sous nos yeux défilent des paysages vallonnés parsemés de terrasses, de vignes, d’amandiers, d’oliviers, de pruniers et autres arbres fruitiers. Dans la plaine, subsiste encore un peu de culture céréalière. Ce domaine était la propriété de la compagnie de Jésus jusqu’à son expulsion d’Espagne en 1767 par le roi Carlos III. En 1771, la famille Velázquez achète le domaine. Aujourd’hui, ce sont Carlos Velázquez le père et, Miguel Velázquez le fils qui s’occupent du domaine familial et qui m’ont fait un accueil des plus chaleureux.
La
bodega produit l’ensemble de ses vins à partir de ses propres raisins. Ce qui
n’est pas toujours le cas en Espagne, cette tendance tend néanmoins à se
développer sur la péninsule. Ils sont très attachés au cépage rouge local, le
Monastrell (Mourvèdre local espagnol qui diffère quelque peu du cépage français). Toutes
leurs cuvées de rouge sont vinifiées avec ce cépage, seul ou en assemblage.
Ici, il prend des arômes fortement épicés et réglissés. L’ensemble des vignes
du domaine est travaillé selon le cahier des charges de la viticulture biologique
et aucune irrigation[5] n’est
pratiquée.
Les
vignes sont âgées de 25 à 45 ans, 1/3 sont taillées en gobelet, les autres en
double cordon Royat, elles s’étendent sur 130 hectares autour du domaine. Les
Velázquez ont fait le choix de planter en complément du Monastrell local
d’autres cépages nationaux et internationaux afin de proposer une gamme plus
large de vins. On retrouve ainsi dans leurs vins le Tempranillo, la Garnacha
(Grenache), le Cabernet Sauvignon (encore lui !), le Cabernet Franc, le
Mourvèdre[6] et le
Marselan[7].
Beaucoup de cépages français et peu de cépages locaux.
En
Espagne, de nombreuses bodegas mais aussi d’appellations sont convaincues de la
nécessité de planter des cépages étrangers, en particulier français, pour
améliorer la qualité de leur vin et faciliter leur commercialisation, notamment
à l’export. Peut-être ont-ils raison… mais pendant combien de temps, l’amateur
aura-t-il envie de boire les mêmes cépages et les mêmes vins ? La
lassitude pointe… Sans oublier que ces cépages sont plantés au détriment des
cépages locaux qui, eux, sont arrachés massivement. Je ne dis pas que cépage
local rime forcément avec bon, il y va du goût de chacun. Cependant il serait
dommage de perdre ce patrimoine viticole.
Néanmoins
la famille Velázquez cherche à valoriser leur terroir et à produire des vins
qui l’expriment. Ils ne surboisent pas systématiquement, ils gardent du fruit
et de la fraîcheur dans leurs cuvées. Le surboisage étant une manie assez
répandue dans la péninsule. Ils vendent 80% à l’export et le reste en local. Le
pourcentage élevé à l’export est la conséquence de 2 facteurs :
l’agriculture biologique ne suscite pas encore un très grand intérêt de la part
des Espagnols et l’appellation Valencia, ne bénéficie pas encore de la
notoriété nécessaire aux décollage des ventes en Espagne.
Les
cuvées dégustées :
F Monastrell 2010, 100% Monastrell, vino joven
(sans élevage bois, mis sur le marché l’année de sa récolte), vignes de 25 ans
sur sol argilo-limoneux. Un vin facile à boire, frais et digeste.
Trilogía
2007, 70% Monastrell, 20% Cabernet Sauvignon et 10% Tempranillo, 12 mois
d’élevage dans des barriques hongroises de 2 à 3 ans. C’est un vin issu des
plus belles parcelles de la bodega. Un nez plus explosif et concentré que le
précédent : fruits noirs, fruits rouges très mûrs, réglisse, épices. En
bouche, on perçoit les fruits rouges mûrs, les tanins sont fondus et quelques
notes d’élevage toastées sont perceptibles.
La
Moma[8] 2008,
50% Monastrell vieilles vignes et 50% Marselan, 15 mois d’élevage en barriques
françaises de 1 an. Le vin est concentré mais garde de la fraîcheur, il se
révèle sur des fruits noirs et rouges que les tanins fondus viennent souligner
avec élégance. Le nom de la cuvée est un jeu de mot entre l’abréviation de Monastrell
et de Marselan et une danse très populaire lors de la procession du Corpus Christi
(voir note de bas de page n°8).
![]() |
On voit sur l'étiquette la référence à la danse de la Moma |
Un domaine à suivre.
[1] Noël en Espagne : nous n’échangeons pas de
cadeau la nuit de noël. Il s’agit d’un repas familial. Les familles qui ont
encore une pratique religieuse se rendent à la messe de minuit (misa del gallo,
messe du coq). La tradition est cependant en train de changer pour le plus
grand bonheur des enfants mais pas forcément des parents… Il arrive de plus en
plus fréquemment que les enfants reçoivent des cadeaux à Noël et à l’Epiphanie.
[2] Nouvel an en Espagne : la tradition veut que
l’on porte des dessous rouges lors de la soirée du réveillon, pour attirer la
chance. Aux douze coups de minuit, les Espagnols munis de 12 grains de raisins
doivent les mettre en bouche à chaque coup de minuit. Si l’opération réussit,
c’est une année prospère qui s’annonce. Cette tradition est un héritage de la
culture morisque, Musulmans convertis à la chrétienté mais qui continuait à
pratiquer leur culte en secret. Au départ, il s’agissait de grains de grenade.
[3] Epiphanie : c’est le jour des cadeaux, de la
couronne des rois (notre galette) et d’un bon repas en famille. Et c’est un
jour férié en Espagne. Pour l’anecdote il y a deux fèves dans notre galette,
une en porcelaine qui désigne le roi ou la reine et une qui désigne celui qui
paie la galette l’année suivante !
[4] Los Frailes est le nom familier et populaire qui désignait
les moines. A l’origine le domaine s’appelait du nom de la congrégation jésuite
mais les villageois le désignaient sous le nom populaire de frailes. Cette
dénomination populaire a fini par évincer celle d’origine.
[5] L’irrigation
des pieds de vigne est autorisée en Espagne.
[6] Le
Monastrell est la variété locale du Mourvèdre. Depuis peu, la famille Velázquez
a acquis des plants de Mourvèdre auprès d’un pépiniériste français afin de voir
comment ceux-ci se comportent sur le sol de Fontanars.
[7] Le Marselan
est un cépage issu du croisement du cabernet sauvignon et du grenache
teinturier. La plupart des cépages noirs ont une chair blanche, c’est la peau
du raisin et non sa chair qui colore le jus de raisin. On appelle teinturier,
les cépages à chair rouge qui donne un jus rouge.
[8] La danse
de la Moma est une danse très populaire, dans la région de Valencia, lors de la
procession du Corpus Christi. La Vertu, symbolisée par une femme vêtue de blanc
couronnée de fleurs, combat les Momos qui représentent les 7 péchés capitaux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire