mardi 14 février 2012

Bodega Los Frailes : L'amour du Monastrell

En Espagne, nous fêtons Noël[1] et le jour de l’an[2] mais aussi l’Epiphanie[3]. La nuit du 5 au 6 janvier est l’occasion d’un grand défilé dans les rues avec les chars représentants les 3 rois mages et leurs serviteurs qui lancent des bonbons à la foule. C’est souvent à ce moment de l’année pourvoyeur de nombreux jours fériés, que je me rends en Espagne voir ma famille, mes amis et que je visite quelques bodegas. Mes amis sachant que je travaille dans le vin en France, me préparent toujours une sélection de bonnes bouteilles, non sans une certaine arrière-pensée chauvine. Paco, mon plus grand sélectionneur de flacons, m’avait fait goûter plusieurs cuvées de la bodega Los Frailes et je décidais cette année de leur rendre une petite visite. 

Cabalgata des Rois Mages à Madrid en 2009



Los Frailes[4] appartient à la DO Valencia. Le caveau ainsi que les vignes se situent dans la commune de Fontanars dels Alforins, à 650m d’altitude. Nous sommes dans les terres à 80km de la Méditerranée. Sous nos yeux défilent des paysages vallonnés parsemés de terrasses, de vignes, d’amandiers, d’oliviers, de pruniers et autres arbres fruitiers. Dans la plaine, subsiste encore un peu de culture céréalière. Ce domaine était la propriété de la compagnie de Jésus jusqu’à son expulsion d’Espagne en 1767 par le roi Carlos III. En 1771, la famille Velázquez achète le domaine. Aujourd’hui, ce sont Carlos Velázquez le père et, Miguel Velázquez le fils qui s’occupent du domaine familial et qui m’ont fait un accueil des plus chaleureux.  
  
La bodega produit l’ensemble de ses vins à partir de ses propres raisins. Ce qui n’est pas toujours le cas en Espagne, cette tendance tend néanmoins à se développer sur la péninsule. Ils sont très attachés au cépage rouge local, le Monastrell (Mourvèdre local espagnol qui diffère quelque peu du cépage français). Toutes leurs cuvées de rouge sont vinifiées avec ce cépage, seul ou en assemblage. Ici, il prend des arômes fortement épicés et réglissés. L’ensemble des vignes du domaine est travaillé selon le cahier des charges de la viticulture biologique et aucune irrigation[5] n’est pratiquée. 


 
Les vignes sont âgées de 25 à 45 ans, 1/3 sont taillées en gobelet, les autres en double cordon Royat, elles s’étendent sur 130 hectares autour du domaine. Les Velázquez ont fait le choix de planter en complément du Monastrell local d’autres cépages nationaux et internationaux afin de proposer une gamme plus large de vins. On retrouve ainsi dans leurs vins le Tempranillo, la Garnacha (Grenache), le Cabernet Sauvignon (encore lui !), le Cabernet Franc, le Mourvèdre[6] et le Marselan[7]. Beaucoup de cépages français et peu de cépages locaux.

En Espagne, de nombreuses bodegas mais aussi d’appellations sont convaincues de la nécessité de planter des cépages étrangers, en particulier français, pour améliorer la qualité de leur vin et faciliter leur commercialisation, notamment à l’export. Peut-être ont-ils raison… mais pendant combien de temps, l’amateur aura-t-il envie de boire les mêmes cépages et les mêmes vins ? La lassitude pointe… Sans oublier que ces cépages sont plantés au détriment des cépages locaux qui, eux, sont arrachés massivement. Je ne dis pas que cépage local rime forcément avec bon, il y va du goût de chacun. Cependant il serait dommage de perdre ce patrimoine viticole.

Néanmoins la famille Velázquez cherche à valoriser leur terroir et à produire des vins qui l’expriment. Ils ne surboisent pas systématiquement, ils gardent du fruit et de la fraîcheur dans leurs cuvées. Le surboisage étant une manie assez répandue dans la péninsule. Ils vendent 80% à l’export et le reste en local. Le pourcentage élevé à l’export est la conséquence de 2 facteurs : l’agriculture biologique ne suscite pas encore un très grand intérêt de la part des Espagnols et l’appellation Valencia, ne bénéficie pas encore de la notoriété nécessaire aux décollage des ventes en Espagne. 



Les cuvées dégustées :

F  Monastrell 2010, 100% Monastrell, vino joven (sans élevage bois, mis sur le marché l’année de sa récolte), vignes de 25 ans sur sol argilo-limoneux. Un vin facile à boire, frais et digeste.

Trilogía 2007, 70% Monastrell, 20% Cabernet Sauvignon et 10% Tempranillo, 12 mois d’élevage dans des barriques hongroises de 2 à 3 ans. C’est un vin issu des plus belles parcelles de la bodega. Un nez plus explosif et concentré que le précédent : fruits noirs, fruits rouges très mûrs, réglisse, épices. En bouche, on perçoit les fruits rouges mûrs, les tanins sont fondus et quelques notes d’élevage toastées sont perceptibles.

La Moma[8] 2008, 50% Monastrell vieilles vignes et 50% Marselan, 15 mois d’élevage en barriques françaises de 1 an. Le vin est concentré mais garde de la fraîcheur, il se révèle sur des fruits noirs et rouges que les tanins fondus viennent souligner avec élégance. Le nom de la cuvée est un jeu de mot entre l’abréviation de Monastrell et de Marselan et une danse très populaire lors de la procession du Corpus Christi (voir note de bas de page n°8).

On voit sur l'étiquette la référence à la danse de la Moma


Un domaine à suivre. 


[1] Noël en Espagne : nous n’échangeons pas de cadeau la nuit de noël. Il s’agit d’un repas familial. Les familles qui ont encore une pratique religieuse se rendent à la messe de minuit (misa del gallo, messe du coq). La tradition est cependant en train de changer pour le plus grand bonheur des enfants mais pas forcément des parents… Il arrive de plus en plus fréquemment que les enfants reçoivent des cadeaux à Noël et à l’Epiphanie.

[2] Nouvel an en Espagne : la tradition veut que l’on porte des dessous rouges lors de la soirée du réveillon, pour attirer la chance. Aux douze coups de minuit, les Espagnols munis de 12 grains de raisins doivent les mettre en bouche à chaque coup de minuit. Si l’opération réussit, c’est une année prospère qui s’annonce. Cette tradition est un héritage de la culture morisque, Musulmans convertis à la chrétienté mais qui continuait à pratiquer leur culte en secret. Au départ, il s’agissait de grains de grenade.

[3] Epiphanie : c’est le jour des cadeaux, de la couronne des rois (notre galette) et d’un bon repas en famille. Et c’est un jour férié en Espagne. Pour l’anecdote il y a deux fèves dans notre galette, une en porcelaine qui désigne le roi ou la reine et une qui désigne celui qui paie la galette l’année suivante !

[4] Los Frailes est le nom familier et populaire qui désignait les moines. A l’origine le domaine s’appelait du nom de la congrégation jésuite mais les villageois le désignaient sous le nom populaire de frailes. Cette dénomination populaire a fini par évincer celle d’origine.

[5] L’irrigation des pieds de vigne est autorisée en Espagne.

[6] Le Monastrell est la variété locale du Mourvèdre. Depuis peu, la famille Velázquez a acquis des plants de Mourvèdre auprès d’un pépiniériste français afin de voir comment ceux-ci se comportent sur le sol de Fontanars.

[7] Le Marselan est un cépage issu du croisement du cabernet sauvignon et du grenache teinturier. La plupart des cépages noirs ont une chair blanche, c’est la peau du raisin et non sa chair qui colore le jus de raisin. On appelle teinturier, les cépages à chair rouge qui donne un jus rouge.

[8] La danse de la Moma est une danse très populaire, dans la région de Valencia, lors de la procession du Corpus Christi. La Vertu, symbolisée par une femme vêtue de blanc couronnée de fleurs, combat les Momos qui représentent les 7 péchés capitaux.

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